LMP 2002 (Rome)

"Forme et Objet du Logique"

du 2 au 4 mai 2002, à Rome

Institut de Mathématiques de Luminy - Université de Provence - Université di Roma III

Colloque réalisé dans le cadre du réseau LINEAR avec le soutien du programme européen TMR (Training and Mobility for Researchers)


Thématique

Pour sa troisième édition, le séminaire LMP propose de questionner la nature et la forme de l’objet logique. Il ne s’agira pas de faire un catalogue des théories en présence, mais de présenter toute la richesse de nos expériences DU logique à partir de deux points d’entrée :

- pratiques et conceptions du logicien-mathématicien

Comment le logicien appréhende-t’il le sens de son activité ? Quels types d’objets rencontre-t’il ? Comment pense-t’il l’interaction de son domaine avec le reste de la connaissance ? La question des fondements est-elle toujours pertinente ? Pourquoi fonder la logique et les mathématiques ? Quels rapports entretient le mathématicien avec la logique ?

- penser le logique : connaître et reconnaître

La philosophie de la logique est-elle toujours vivante ? Comment concevoir le travail du philosophe sur la logique et les mathématiques ? Une interaction profonde entre philosophes, logiciens et mathématiciens est-elle souhaitable ? est-elle possible ? Comment la philosophie utilise et/ou peut utiliser les ressources théoriques de la logique ?

Organisation

Samuel TRONÇON (CNRS - IML / CEPERC )
Lorenzo TORTORA DE FALCO (Università di Roma 3)

Comité scientifique

Michele ABRUSCI - Jean-Yves GIRARD - Pierre LIVET
Giuseppe LONGO - Samuel TRONÇON

Programme

JournéeMatinAprès-midi
2 Mai Albert BURRONI

(Univ. Paris 7)

Yves LAFONT

(IML - Marseille)

Jean-Baptiste JOINET

(Univ. Paris 7/Paris 1)

Laura REDAVID

(Univ. Roma III)

3 Mai Giuseppe LONGO

(ENS Paris)

Bernard TEISSIER

(Univ. de Paris 7)

Juliette KENNEDY

(University of Helsinki)

Pierre LIVET

(CEPERC - Aix)

4 Mai Jean-Yves GIRARD

(IML -Marseille)

Michele ABRUSCI

(Univ. di Roma 3)

Texte de présentation

"La doctrine traditionnelle d’une raison absolue et immuable n’est qu’une philosophie. C’est une philosophie périmée."
G. Bachelard in "La philosophie du non"

Logique et rationalité

Il faut accepter la leçon de la philosophie du non, nous dit Bachelard. Ne plus croire que l’esprit fonde la science, ne plus voir dans l’arithmétique, la géométrie ou la logique des produits ou des extensions d’une rationalité toute naturelle qui apparaitraient au cours d’une exploration introspective, ou pire, lors d’une activité consciente et volontaire de production de savoirs réduits à la plus pure redondance de principes.

Non, il faut désormais inverser le cours de la philosophie, et encore plus lorsqu’elle observe et se développe avec la connaissance scientifique. Il faut passer d’un niveau "mimétique" et purement analogique à une philosophie sachant se mettre en route, se découvrir au détour des chemins épistémologiques, se positionner face à la science ni comme maîtresse, ni comme servante.

Dans cette philosophie, la raison n’est plus un principe poétique de la connaissance, mais le témoin de l’évolution des conditions épistémologiques. Ce que nous désignons par le mot "raison" est plutôt une rationalité en marche, une posture qui se reconnaît dans la méthode scientifique et dans la structure de la connaissance du réel. La raison est en quelque manière l’expression la plus intérieure d’une sorte de principe de réalité, qui nous pousse, dès lors qu’une forme devient scientifique, à se l’approprier non plus comme structure des choses mais comme structure de notre propre intelligibilité.

En somme, chaque étape du développement de la science est aussi une étape du déploiement de la rationalité, qui s’extirpe tout doucement de la guangue réaliste dans laquelle elle se trouve à l’origine dans chaque notion, dans tout domaine. Ce déploiement, cette libération progressive des formes, et donc de l’esprit, réalise ce que seule la pensée scientifique peut produire sans conduire à une ruine de la pensée elle-même : l’accès à des formes de raisonnement, à des objets de connaissance dont les principes les plus naturels sont totalement opposés à ce que notre raison raisonnée est prête à accepter. La raison prise comme faculté est donc totalement incapable d’inventivité, de spontanéité, de connivence avec le réel : elle est nécessairement tributaire d’une philosophie éclatée. Une fois conçue comme un mouvement différentiel, une dialectique de notre accès au monde, une combinatoire des référentiels, elle retrouve la sereine clarté et l’unité profonde qui la caractérisent.

Alors que dire de la logique ? Que faire en philosophie de la logique ? Comment concilier la vie de l’esprit avec la logique comme science ? Jusqu’au siècle dernier, on pouvait se laisser aller tendrement à l’illusion d’une logique du raisonnement et du langage, d’une logique immuable dont les arcanes, une fois éclairées par la science, auraient servi de modèle à l’élaboration d’une langue parfaite, d’une signification parfaite, d’une métaphysique parfaite. La logique était le socle fondamental sur lequel asseoir la science, elle était cette rationalité de principe, prévalant aux mathématiques elle-mêmes, et donc à tout le reste. En fait, la logique était devenue, alors même qu’elle se voulait scientifique, l’expression la plus évidente de notre besoin de réduction : il fallait que la vie de l’esprit se transformât en quelque industrie de production du savoir.

Il y eut un premier choc, celui de découvrir au-delà de l’axiomatique à la Hilbert, une vie propre aux symbolismes, qui les faisait passer d’ailleurs du statut d’objet formel à celui d’objet signifiant. Une dynamique interne qui était à la fois le principe directeur et le critère de reconnaissance de toute logique véritable : la coupure comme règle n’étant que le substrat technique de l’élimination des coupures comme essence même du logique. Cela ne suffisait pas, on disposait maintenant d’une vie propre à l’objet logique, mais il fallait savoir jusqu’où cette dynamique serait capable d’aller, si elle était vraiment de nature à réduire, et réduire encore la vie de l’esprit à une mécanique digne de ce nom. Il y eut donc un second choc, celui de la dérobade ultime à tout réductionnisme logique.

Au début il y avait l’idée d’un théorème de complétude qui aurait permis d’identifier la vérité (arithmétique) et la prouvabilité formelle (dans un système du type Arithmétique de Peano). Ce théorème-là , ne nous apparaît avec le recul que comme l’expression d’une condition de possibilité : je peux démontrer toute formule dont l’interprétation est vraie, puisque je définis une formule vraie (une tautologie) exactement comme une formule démontrable (un axiome). Mais qu’est-ce qu’une formule vraie ? Qu’est-ce que la vérité ? La question peut sembler appartenir à la logique, mais elle n’est en fait que philosophique. Le théorème d’incomplétude de Gödel ne prouve pas véritablement que l’esprit ne peut atteindre certaines vérités, il nous montre la différence de nature entre la vérité philosophique et la vérité logique. Il met le doigt sur l’ambiguïté fondatrice de toute logique, en le démontrant pour l’arithmétique : dans une théorie cohérente T, je ne peux prouver l’énoncé affirmant "la théorie T est cohérente". D’une part, il n’existe aucun programme pouvant dire pour n’importe quel autre programme si ce dernier va boucler ou non. D’autre part, si la notion de vérité se dérobe c’est peut-être parce qu’elle ne fait pas sens ! La notion formelle de vérité n’étant qu’une construction mathématique artificielle, on y opposera les principes géométriques de construction des preuves (bon ordre, symétrie, connectivité...) qui cassent définitivement l’opposition formel/réel en retrouvant dans la règle une signification propre.

Pas d’arrière-monde , pas d’outre-mathématique, pas de méta-logique donc, juste le principe de la connaissance face à lui-même : nous ne connaissons que des structures, des formes, des objets qui s’animent en nous par un curieux mimétisme de la raison face à la science. Ces objets ne font qu’un avec les règles qui semblent les régir, au point que l’on peut même se demander dans quelle mesure ce ne sont pas les règles qui sont produites par les objets. L’unité profonde de la règle logique avec le logique lui-même nous montre une fois de plus que la rationalité a trop longtemps été utilisée comme le terme ultime d’une justification des principes de la logique, mais que c’est la logique en tant que science et en tant que pratique, qui fait évoluer la rationalité et lui donne toute sa force. Après cette sorte de nature logique découverte par Gentzen, après la fin de l’illusion technico-réductionniste réfutée par Gödel, la logique se donnait les moyens de devenir un domaine scientifique à part entière, dans lequel on peut rencontrer des objets, des formes et non plus seulement des signes. En fait, la logique s’est découvert une âme au XXè siècle, en prenant le parti de l’esprit géométrique face à la tentation formaliste ou linguistique. Elle a fait sa révolution copernicienne : la vérité n’étant plus le centre de ses préoccupations, elle étudie désormais la géométrie de la preuve elle-même et sa dynamique interne.

Depuis l’avènement de ce nouvel âge rationnel, beaucoup de résultats ont été obtenus, de grandes synthèses ont été produites, la logique a pris son indépendance et s’est révélée àªtre un domaine fécond notamment en ce qui concerne la théorie de la démonstration : lambda-calcul, logique linéaire, sémantique des jeux, ludique...

Mais cela ne doit pas cacher l’éclatement philosophique auquel nous sommes soumis, car désormais la grande question reste de savoir de quoi parle vraiment la logique. La philosophie de la logique contemporaine reste à faire, et le chantier est immense. Il faut tout d’abord identifier les phases de cette histoire puis replacer chaque objet, chaque idée, chaque concept dans son évolution afin d’en réaliser une sorte d’analyse différentielle. Il faut aussi àªtre capable de distinguer dans tout cela le propre du travail du logicien, connaître ses errances, expérimenter ses doutes, comprendre la difficulté qu’il y a à passer d’une théorie à l’autre sans que pour autant, l’édifice n’en soit fragilisé. Enfin, au-delà de tout relativisme dangereux, il est nécessaire de constituer un savoir de l’unité logique, de sa profondeur épistémologique, de son rapport étroit avec la structure de la réalité. C’est à ce prix que désormais nous pourrons dire qu’une philosophie de la logique existe indépendamment de tout présupposé sur la rationalité elle-même.

Samuel TRONÇON
CNRS - CEPERC & IML

(Je remercie G. Longo et J.Y. Girard pour les suggestions et remarques suscitées par la lecture de ce texte)

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